Yvette Théraulaz
Fondation Leenaards - Lausanne
Yvette Théraulaz reçoit le prix culturel Leenaards
Yvette Théraulaz, laudatio
Chère Yvette Théraulaz, je ne sais pas si le Prix qui vous est décerné aujourd’hui couronne davantage la comédienne ou la chanteuse, l’artiste ou la femme. Il y a chez vous tant de talents cumulés qu’on ne peut pas les démêler. Comédienne qui chante, comme vous vous qualifiez vous-même, vous êtes à prendre entière, dans la plénitude de votre singularité.
Les membres du jury du prix Leenaards qui vous ont distingué ne disent pas autre chose. Ils évoquent votre présence lumineuse, simple et généreuse, votre conscience politique et sociale, votre défense des droits des femmes, qui font de vous l’une des artistes les plus marquantes du théâtre suisse, et déjà couronnée comme telle, en 2013, par l’Anneau Reinhart.
C’est une trajectoire incroyable, parce qu’aucune formation, aucun héritage ne vous destinait à monter sur une scène. Votre famille gruérienne a dû émigrer à Lausanne pour que votre père puisse vivre de sa profession de laitier. Alors bien sûr, il y a dans cette enfance l’expérience de l’injustice telle que l’ont vécue ces exilés catholiques en terre protestante, ces Fribourgeois accusés de venir manger le pain des Vaudois; et il y a aussi, par eux, la transmission de valeurs décisives, la droiture, l’honnêteté, l’humilité fière dont on retrouvera la trace dans vos spectacles et dans vos chansons, dans votre sensibilité aux mots du quotidien, aux réalités des « gens minuscules », selon votre belle expression.
Tout cela peut féconder des colères ou des envies de combat. Mais comment expliquer votre envol vers le théâtre, sinon par une passion venue d’ailleurs encore, irréductible aux circonstances? C’est elle qui vous conduit au Conservatoire d’art dramatique de Lausanne où vous êtes admise par dérogation à l’âge de 14 ans. Et puis, deux parrains vous encouragent : pour le chant, c’est Michel Corboz, via le Petit Chœur où vous vous êtes inscrite, et pour le théâtre c’est Benno Besson, auprès de qui, à l’âge de 14 ans, vous jouez dans « Sainte Jeanne des Abattoirs ».
Votre carrière sera donc double, de comédienne et de chanteuse. Elle est trop riche et trop connue pour être récapitulée ici. Vous avez été Nora, Emilie Dickinson, Vera Baxter, Penthésilée ou Lioubov ; vous avez été séductrice chez Schnitzler , pétulante chez Molière ; vous avez joué pour les plus grands, de Joël Jouanneau à Claude Stratz, au cinéma pour Yves Yersin et Jacqueline Veuve, et avec les plus grands aussi, comme dans votre récent duo en compagnie de Jacques Michel, dans « Automne » de Julien Mages. Vous avez participé à deux aventures collectives qui ont contribué à renouveler le théâtre romand, dans ces années où tout était à refaire, au Théâtre populaire avec Charles Joris, puis avec André Steiger, avec qui vous avez fondé le T Act. Chanteuse, vous avez enregistré un nombre considérable d’albums. Et puis, surtout, vous avez créé vos propres spectacles, en forme de collages, où ça chante, où ça dit, ça rugit, ça rit, ça frémit, ça se souvient ; des spectacles qui sont aussi bien des manifestes politiques que des confessions personnelles, où l’histoire intime rejoint l’histoire collective, des spectacles où vous parlez de vous pour mieux parler aux autres. Alors, quels sont les mots qui peuvent qualifier ce parcours à la fois si divers et si cohérent ? Le premier qui vient à l’esprit, je crois, c’est le courage. Vous avez mis en acte, à chaque bifurcation, l’exigence de vérité plutôt que le désir de plaire. Vous avez refusé des propositions dorées sur tranche pour garder votre âme. Plus de 100 spectacles sans un compromis. Savoir dire non pour pouvoir dire oui, pleinement. C’est ainsi qu’on construit une œuvre, avez-vous dit un jour. Et c’est juste : vous êtes l’engagement incarné, votre parcours a des contours nets, identifiables, parce que vous vous obstinez à le miser sur des valeurs, - cette force de conviction qui aujourd’hui tend à se dilue dans le narcissisme connecté et dans l’obsession du chiffre. Vous, vous n’avez pas de smartphone. Et de nos jours, c’est un acte de résistance. Le deuxième mot qui vient à l’esprit, c’est l’indignation. Celle de la petite fille que les sœurs de l’Ecole de Notre-Dame du Valentin, à Lausanne, ne questionnaient jamais en classe sur les prières qu’elle savait pourtant par cœur, parce qu’elle était pauvre, et qui a compris très tôt ce que la relégation sociale veut dire. Aussitôt après viendra l’expérience de la discrimination faite aux femmes, qui orientera si souvent vos spectacles, notamment « Histoire d’elles », pour ne citer que l’un des plus fameux.
Et puis j’en ajoute un troisième. C’est la bienveillance. Vous avez un jour cité cette phrase de Beethoven : « Il n’y a pas d’autre marque de supériorité que la bonté ». Eh bien, vous êtes une grande beethovénienne. Vous déclinez le verbe aimer à l’infini, dans votre engagement sans cesse tourné vers le meilleur de l’humanité, vers l’émancipation et la liberté, vers la compassion et la solidarité. C’est sans doute de savoir si bien aimer que vous êtes, Yvette Théraulaz, si bien aimée en retour. Il y a dans l’admiration qui vous est portée une affection très particulière, chaleureuse et fraternelle. Parce que vos rages et vos insolences, vos larmes et vos rires sont de ceux qui réveillent les consciences assoupies, qui rallument les émotions éteintes et consolent les blessures enfouies. Et qui font rire, aussi. Car tout cela serait terriblement grave sans votre humour et votre autodérision, qui fait qu’en général vous êtes, dans vos spectacles, la première victime de votre lucidité et de vos piques. Vous avez dit un jour que la phrase que vous détestez le plus c’est « Tais-toi !», parce que vous l’avez trop entendue dans votre enfance. Dieu merci, vous n’avez pas obéi. Vous n’en avez fait qu’à votre tête et qu’à votre cœur.
Alors, à vous qui savez si bien faire vivre Barbara dans le spectacle triomphal que vous lui avez consacré, cette Barbara dont la grâce obscure vous a touchée si fort, à l’âge de 15 ans, qu’elle vous a lancée sur la route de Paris pour suivre ses traces, Barbara dont le mal de vivre a pu être un double de celui qui vous a parfois accablée, et dont l’humour canaille serait un grand frère du vôtre, alors oui, nous avons envie de vous dire aujourd’hui, chère Yvette Théraulaz: Notre plus belle histoire d’amour, c’est vous.
Jean-Jacques Roth
Prix culturel Leenaards 2018
Portrait RTS
Romaine Jean présente " Toute une vie " une série d'émissions consacrées à des personnalités suisses qui ont marqué la politique, l'économie, la culture et la science.
Sur le plateau de Toute une vie, Romaine Jean accompagnera ses invités pour un retour sur les moments clés de leur vie et de leur carrière. Une manière, à travers ces destins singuliers et à l'aide de documents inédits, de se plonger dans l'histoire récente de notre pays et du monde.
Toute une vie
Réalisation Maurizio Giuliani
Interview réalisée au théâtre du Crève-Coeur à Genève
Réalisation Maurizio Giuliani
Interview réalisée au théâtre du Crève-Coeur à Genève en mai 2014
Réalsation Maurizio Giuliani
Interview réalisée au théâtre du Crève-Coeur à Genève en mai 2014
Réalsation Maurizio Giuliani
Interview réalisée au théâtre du Crève-Coeur à Genève
Interview réalisée au théâtre du Crève-Coeur à Genève
A PROPOS DE... de Fr Gremaud, Comme un vertige et du métier
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