Yvette Théraulaz
Mise en scène Martine Charlet
Yvette Théraulaz crée le personnage de Louve tiré du texte Louve d'Alexandre Voisard à l'Arsenic à Lausanne puis en tounée
Mise en scène de Armand Deladoëy
Yvette Théraulaz joue le rôle de Penthésilée Mise en scène de Armand Deladoëy à l'école de jazz et des musiques actuelles (EJMA), saison de l'Arsenic, à Lausanne. Photo Christian Fosserat
Mise en scène Philippe Morand
Les cheveux tirés en arrière, les yeux grands ouverts, la mine triste, Yvette Théraulaz incarne Eva. paysanne suisse alémanique des années soixante. Dans sa vie, pas grand-chose de réconfortant: un mari borné, têtu, macho et radin. «Pas d'explication!», «La discipline avant tout!»
Deux phrase qui reviennent comme des leitmotive dans le langage d'Ulrich, sinistre personnage qu'interprète Michel Cassagne. Pour elle, une vie entre quatre murs de ferme, au passé douloureux, à l'avenir qui frissonne. Des jours qui passent et se ressemblent. Rien à attendre. Une immense lassitude.Jusqu'à ce drôle de vendredi soir où le mari détesté part en ville. Eva reste seule à la maison avec Hans, orphelin employé à la ferme. Le calme est là, enfin. Autour d'une bouteille de schnaps, les deux personnages lient connaissance. Et l'alcool aidant. les langues se délient.
Sur la scène, les comédiens ne bougent presque plus. Yvette Théraulaz et Jean Liermier ne sont plus acteurs mais conteurs. A tour de rôle, ils se racontent leur vie et leurs rêves. Lui parle de s'enfuir en Allemagne, de marcher au hasard avec son sac au dos. Elle s'accroche à son rêve de tout abandonner, de partir avec lui. Un moment d'intimité, de tendresse où la comédienne excelle: dans son récit, prononcé juste assez fort pour faire frissonner les gradins de la petite salle de Vidy, une émotion vraie et bouleversante. Pas de larmes mais des silences lourds de signification. Et une voix légère, presque aérienne, pour dire la jeunesse passée derrière un bar, à servir des verres aux paysans du village, le mariage avec Ulrich, la nuit de noces ratée et l'enfant qui n'est jamais venu.
Un sol carrelé légèrement incliné, un mur orné de branches, une table, deux banquettes. Le décor de Gilles Lambert souligne le plus naturellement possible cette production 100\\\\% romande, premier volet d'un triptyque que Philippe Lüscher va consacrer au personnage de Hans. Même orientation dans le travail de Philippe Morand, metteur en scène: pas d'effets spectaculaires. Place aux acteurs, impeccablement dirigés, aux témoignages; à ces vies enpanne d'avenir, à ces rêves trop différents. «Hans, jeune homme sans jeunesse, rêve de liberté, Eva de quitter sa vie et Ulrich rêve de réussite, écrit Philippe Lüscher. A chacun son rêve, à chacun son drame, on ne peut rien y changer.»
Théâtre de Vidy et théâtre St-Gervais - Genève Avec Michel Cassagne et Jean Lermier
L'échappée / téléjournal
Mise en scène Philippe Morand
Avec «Maison de Poupée», Philippe Morand crée un spectacle exceptionnel. Quel jeu ! Le public romand avait déjà ovationné le tandem Philippe Morand Yvette Théraulaz dans un «Emilie ne sera plus jamais cueillie par l'anémone» inoubliable. Et voici que le metteur en scène et la belle comédienne réunissent à nouveau leurs talents dans «Maison de poupée», du Norvégien Ibsen, en création ces jours au Poche à Genève. On s'attendait à un mets délicat, et c'est tout simplement à un festin royal auquel les amateurs de théâtre sont conviés.
On n'a longtemps retenu de la pièce que son audace, nous sommes en 1879, à brosser le portrait d'une épouse qui abandonne mari et enfants, parce que la communication est impossible. On y voyait un esprit féministe avant l'heure, un intrépide rejet de valeurs sociales étouffantes. Comme Philippe Morand nous la conte, «Maison de poupée» n'est plus l'histoire d'une femme, mais avant tout celle - très actuelle d'un couple qui ne sait pas s'aimer. Si Nora est la poupée de son mari, Helmer n'est que le pantin mou et désarmé des lois toutes-puissantes qui régissent le mariage, la carrière, la fidélité.
La colère ordinaire Excellent dans ce rôle ingrat, Pierre Banderet rend au début son personnage haïssable. Puis, progressivement, il devient touchant à ne pas pouvoir se délivrer de son carcan d’égoïsme ignoble. Plus qu'un monstre obtus, Helmer est un ignorant. Ses excès d'autorité font froid dans le dos, ses remarques cinglantes sont d'une justesse de ton effrayante. Là où beaucoup d'autres pèchent par excès de zèle, Banderet Joue la colère ordinaire avec une rare intelligence. Pour sa part, Yvette Théraulaz - qui vient d'être auréolée d'un prestigieux prix de la Fondation vaudoise pour la promotion et la création artistiques - brille encore et toujours. En épouse écervelée d'abord, en individu conscient qui part s'épanouir sous d'autres cieux enfin. «Maison de poupée» est un spectacle sans débordements visuels, qui repose sur une lecture respectueuse d'Ibsen et la qualité de tous les comédiens.
MAISON DE POUPEE
mise en scène Claude Stratz à la Comédie de Genève
« Le pain dur » admirablement servi, à La Comédie de Genève, par Claude Stratz et des comédiens de premier ordre. parallèlement, d'importants suppléments aux œuvres complètes enrichissent la connaissance du grand poète-dramaturge. Un préjugé tenace accrédite. l'image d'un Claudel rasoir et ronflant, plus ou moins réactionnaire et par trop papomane, qui n'aurait en somme plus rien à nous dire. Or plus le temps y va de son tamis, et plus s'impose l'évidence que le verbe et la pensée du poète, autant que les thèmes et les personnages du dramaturge, loin de tomber en poussière, conservent une extraordinaire vitalité.
Sans doute Claudel peut-il apparaître comme un monstre pachydermique chez qui le pire et le meilleur cohabitent. Ecrabouilleur magistral, on se rappelle sa dureté envers sa pauvre sœur Camille, et père affectueux, ses lettres à son fils Henri en témoignent, mandarin couvert d'honneurs et poète capable de rendre toute la gamme des sentiments humains, Claudel incarnait par excellence la complexité humaine et ses contradictions. C'est aussi qu'à l'opposé du lettré dans sa tour d'ivoire, Claudel le terrien était de la race des bâtisseurs, curieux de tous les aspects de l'industrie humaine, préférant l'action à l'introspection vague, convaincu que l'argent seul ne peut nourrir l'homme, que le progrès ne va pas sans autolimitation, que l'individualisme est une mauvaise religion.
Dans «Le pain dur», pièce balzacienne constituant la partie centrale du triptyque ouvert avec «L'otage» et conclu par «Le père humilié», Claudel brosse un tableau féroce du nouveau monde sur lequel règne le roi bourgeois Louis-Philippe. Parangon de l'époque, le révolutionnaire Toussaint Turelure chante désormais la Propriété et la Légalité, transforme l'ancien monastère cistercien des Coufontaine en fabrique de papier et liquide ses terres avec la complicité du père de sa maîtresse Sichel, l'usurier juif Habenichts, tandis que son fils Louis nourrit lui-même des visées colonialistes en Algérie. Au thème balzacien de la mutation sociale se combine en outre celui de l'affrontement œdipien entre père et fils, lequel aboutit à un parricide quasiment humoristique. De fait, c'est de trouille que le formidable Turelure passe de vie à trépas tandis que son fils Louis-Napoléon le braque avec des pistolets qu'il croit à tort chargés à blanc. Et pourtant rien de facilement mélo dans ce drame où chaque personnage joue' son va-tout avec la dernière intensité.
Loin de se borner à une critique moralisante du capitalisme en expansion, Claudel nous fait sentir, de l'intérieur, que l'élan de ses protagonistes participe d'une grande force collective. Certes les motifs de la patriote polonaise Lumîr, campée avec une parfaite netteté par Nathalie Lannuzel, semblent-ils plus nobles que les manigances purement égoïstes des autres personnages. Mais de même qu'il montre Lumîr prête au meurtre, Claudel nous fait presque sympathiser avec Turelure père, dont Laurent Sandoz rend merveilleusement le jeu désarticulé de despote cauteleux, féroce et lâche, jouisseur et bouffon, et fils, d'abord veule canaille à l'essai, comme l'indique subtilement Jean-Philippe Ecoffey, puis se révélant aussi puissant salopard que son paternel, comme il laisse entendre que le besoin de possession de la juive Sichel (à laquelle Yvette Théraulaz prête sa présence véhémente et blessée) s'est développé à proportion de son perpétuel déracinement et des humiliations subies.
Si «Le pain dur» n'a rien d'une pièce à thèse, avec moralité finale à l'appui, c'est cependant un froid luciférien que jette la dernière réplique de Louis, après qu'il a consenti à épouser l'ex-maîtresse de son, père, héritière du magot. Désignant, le crucifix relégué dans un coin de ! L'affreux décor, autre réussite signée Denis Fruchaud, le semi-parricide exige qu'on ôte «cette horreur» de sa vue, non sans en vendre le bronze à son nouveau beau-père, au poids. Mauvaise affaire que ce crucifié désaffecté. Mais de plus juteuses transactions attendent heureusement l'usurier Habenichts Roland Sassi, remarquable lui aussi, Turelure fils et Sichel, désormais associés en trio d'enfer... Tout cela que Claude Stratz détaille avec autant de discrétion que de rigueur, de sensibilité aux inflexions du texte, un Claudel sobre à vrai dire, que de vivacité, simplement «comme c'est», autant dire terrible...
Mise en scène Joël Jouanneau décor Jacques Gabel
Une femme au tournant de la quarantaine fait le bilan de sa vie créé au Festival du Belluard à Fribourg Tournée Suisse et Québec
"Rien ne me manque sauf moi-même" est sa nouvelle création dont le Belluard aura la primeur. La chanteuse-poète-comédienne en parle en ces termes : "Depuis le mois de septembre, je travaille à l'écriture de ce nouveau spectacle musical qui comprendra des chansons, des textes, des contes, des lettres d'amour, de la musique, de la danse.
Un résultat artistique magique et simple à la fois: c'est ce que je cherchais pour ce spectacle que je désire simple et lumineux, parlant de choses, pour moi, essentielles. L'histoire d'une femme de quarante ans, entre deux naissances, qui s'apprivoise, qui devient intime avec elle-même, qui s'ouvre au monde, une femme fatiguée qui décide comme le Baron de Crac de changer, de se sortir de la vase, en se tirant par les cheveux: une femme qui aimerait élargir l'individu qu'elle a en elle et qui lui concierge l'éternité. Une femme qui veut emprunter le chemin du coeur."
Yvette Théraulaz se forge ses propres idées en les confrontant à celles de Jésus, Brecht et Marx. Nous retrouvons ces réflexions dans des textes colorés par ses propres expériences, textes provocateurs, engagés qu'Yvette Théraulaz met en musique depuis 13 ans.
Chansons et textes: Yvette Théraulaz - Poèmes : Michel Garneau - Musique: Christian Gavillet Musiciens: Daniel Perrin, Pascal Desarzens, Maxim Favrod, Christian Gavillet - Collaboration artistique: Jôel Jouanneau, Jacques Gabel, Franck Thévenon - Régie générale: Eric Zollikoer
Merci à Michèle Bernard, Sarclo, Andrée Simon, Josée-Fiore Tappy et Corinna Bille Chansons et textes: Poèmes Musique: Yvette Théraulaz Michel Garneau · Christian Gavillet
Production maison Belluard Bollwerk
Mise en scène Philippe van Kessel
Gorki, le romantique social. «Les Estivants» captent une atmosphère, une sensibilité humaine et sociale dans un cadre de «solitude communautaire» Dans une datcha aux alentours d'une ville, un groupe de petit bourgeois passe l'été. Nous sommes en 1904, dans une Russie parcourue de frissons et de questions. Mais ces gens-là vivent un peu hors du monde, dans un quotidien fait d'oisiveté et de désarroi, même si les courants de l'époque viennent parfois troubler leur belle indifférence. Certains ne sont pas sans s'interroger. Ainsi s'écoule, jusqu'à l'éclatement final, Les Estivants de Maxime Gorki, que l'Atelier Sainte-Anne de Bruxelles présentait vendredi et samedi soir au Théâtre Crochetan, à Monthey. Hélas, seules dates en Suisse romande de ce beau spectacle.
Cette pièce s'inscrit dans la deuxième période de l'œuvre de Gorki, celle où délaissant les vagabonds et la grandeur romantique de la Très Sainte Russie, et avant ses grandes fresques d'inspiration autobiographique, il s'intéressa aux thèmes sociaux et politiques de son époque. Romancier, nouvelliste, poète, il écrivit aussi des pièces, dont les plus connues restent Les Petits Bourgeois et Les Bas-Fonds, qui justement traduisaient la sensibilité russe nouvelle, celle qui en un premier temps conduisit aux révol- tes de 1905. Moins célèbre, Les Estivants date aussi de cette période (1904).
L'intérêt de cette œuvre est qu'elle évite le péché de la thèse. Il s'agit plutôt, ici, de capter une atmosphère, une sensibilité humaine et sociale, dont le romantisme n'est d'ailleurs pas absent. Le fait de regrouper des petits bourgeois (classe alors récente en Russie) dans une datcha tend à les isoler du reste du monde. Cette «solitude communautaire» va exacerber les doutes et les contradictions de chacun, va favoriser les intrigues amoureuses et les conflits de personnalités. Tout cela, bien sûr, sous couvert d'insouciance et de villégiature.
Le déchirement russe Mais, touche après touche (car la pièce est organisée en séquences d'une surprenante modernité), la situation évolue, de manière inexorable, vers un éclatement du groupe. Alors les masques tombent, l'hypocrisie et la médiocrité sont fustigées. A partir de cette explosion, on comprend que rien, plus jamais ne sera comme avant, qu'on est entre en rupture, dans un état de réconciliation impossible. Les Estivants, c'est l'âme russe déchirée, c'est le moment même de ce déchirement, rendu de manière métaphorique au sein d'un groupe, mais qui en fait, touche le siècle dans son entier. Toutefois, le mot ultime ne sera pas une exaltation de la révolte, ni une condamnation sans appel de certaines classes. Non. Gorki avait plus de finesse : il fait relever à l'un de ses personnages que rien ne changera jamais. Pérennité des comportements humains.
Ce texte offre une superbe matière théâtrale: par son découpage, par sa retenue sur le passé et l'avenir des personnages, par sa chorégraphie des sentiments. On est en plein dans l'instant. C'est avec quoi joue la version de l'Atelier Sainte-Anne. Pour sa mise en scène, Philippe van Kessel est allé, avec finesse et des moyens épurés, au bout de l'émotion. Il existe d'ailleurs une belle cohérence entre les différentes composantes de cette réalisation: le décor de Claude Lemaire (un peu désolé, presque hors du monde et du temps), le jeu des comédiens (parmi lesquels, admirable, Yvette Théraulaz) ou la musique de Jean-Yves Bosseur. Il n'y a pas d'ironie, aucune fausse note, mais une sorte de lenteur, de langueur, qui permet de mieux appréhender le bal des êtres entre eux.
A noter encore que ce spectacle (on pourrait parler d'un théâtre de la sensibilité) est accompagné par un remarquable programme, édité par l'Atelier Sainte-Anne. Des dizaines de pages de texte, de documents et de photographies : un effort que l'on aimerait rencontrer plus souvent dans nos salles.
Les Estivants de Gorki / Extrait
copyright Yvette Théraulaz - conception et réalisation Fabrique d'images