Yvette Théraulaz
Mise en scène Philippe Morand
Yvette Théraulaz donne voix au texte autobiographique Leyla, récit d’exil de la réfugiée libanaise Leyla Chammas, mise en scène par Philippe Morand à l’Atelier Volant de Lausanne, avec le musicien François Nicod ; spectacle présenté dans sept autres villes romandes
Un spectacle bouleversant Leyla et Simone Oppliger, auteur du texte et des photos de ces pages, se lient d'amitié en 1990 au centre pour réfugiés. Exilée en 1993 dans un village du Maine-et-Loire, logeant dans une maison insalubre, inchauffable, deux enfants très malades, sans permis de séjour, ni travail ni argent, Leyla écrit à Simone. «J'avais besoin d'elle, je sentais qu'elle me comprenait.»
Leyla pleurait en écrivant sa première lettre, début d'une écriture-confidence qui la libérait de toutes les émotions, les peurs, les peines, les chocs et les chagrins entassés depuis plus de vingt ans sans exutoire. Leyla pleurait en découvrant le livre de Simone «Le Cœur et la terre», édité par le Nouveau Quotidien, qui se clôt par l'histoire des Chammas et de leurs trois enfants, le dernier est né à La Chaux-de-Fonds.
Leyla pleurait quand elle vit Yvette Théraulaz dire le texte extrait de ses lettres. «Je m'étais préparée, je l'avais lu plusieurs fois, et pourtant je n'arrivais pas à me séparer de moi-même, je ne pouvais pas voir Yvette comme quelqu'un d'autre que moi.» De ces larmes, de ce vécu, le spectacle tire une énergie saisissante. Yvette Théraulaz est bouleversante d'intensité et d'émotion.
Une rencontre avec Leyla ne s'oublie pas. Ses grands yeux volontaires. Son sourire et son humour soudain chassés par la colère et l'angoisse. Comment pardonner à la Suisse, «pays de loi», qui a chassé les siens? Au Liban, «pays sans loi», elle peut pardonner. Elle n'y fera pas grandir ses enfants. «Je l'ai aimé comme aucun autre pays. Mais personne ne peut expliquer pourquoi la guerre a cessé; elle peut reprendre n'Importe quand. Mes enfants ne vivront pas ce que j'ai vécu.» C'est peut-être incompréhensible pour nous autres mais c'est ainsi: «Ceux qui me demandent pourquoi je ne rentre pas ont vécu la guerre à la TV...» Leyla dit encore qu'elle n'assiste pas non plus à la guerre de Bosnie comme nous, elle la vit: «A la télévision, je les vois courir sous les balles comme j'ai couru. Vous ne pouvez pas comprendre ces gens comme je les comprends.» Celle qui a tant écrit à Simone Oppliger a encore beaucoup à nous dire.
Leyla Récit d'exil
Mis en scène Philippe Van Kessel au Théâtre national de Belgique à Bruxelles
La mémoire, malgré tout. Plus encore que la mémoire, le témoignage par l'œuvre d'art. Juif d'origine hongroise, le scénariste et dramaturge George Tabori a voulu affronter l'épreuve de la mise en forme théâtrale du génocide perpétré par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Parce qu'il est un grand artiste, il a renoncé à toute généralisation, à toute complaisance, à tout jugement. L'aventure extraordinaire qu'il raconte dans «Le Courage de ma mère» se situe au-delà du bien et du mal tels que nous pouvons les comprendre.
C'est ce qui a réduit au silence, pendant tant d'années, la plupart des survivants de l'enfer des camps d'extermination: comment raconter, comment accepter le rejet et l'incrédulité que doivent fatalement provoquer de tels récits? Pour les rescapés, survivre, c'est encore porter le poids écrasant de la culpabilité face à la mémoire de ceux qui ne sont pas revenus.
«Le Courage de ma mère» est une pièce d'autant plus terrible qu'elle connaît un dénouement heureux. La mère de Tabori est arrêtée un beau matin de l'été 1944, alors qu'elle se rend chez sa sœur pour une partie de rami, et emmenée à la gare où elle se retrouve entassée avec 4000 compagnons d'infortune dans un convoi de fourgons à bestiaux. Destination: Auschwitz. Elle sera sauvée par un concours de circonstances encore plus absurde que celui qui avait mené à son arrestation et jouera sa partie de cartes le soir même chez sa sœur. C'est une histoire vraie que raconte Tabori dans cette œuvre écrite à l'origine pour la radio. Il ne nous épargne rien et surtout pas les détails tragiquement cocasses qu'on aimerait ne pas voir passer sous le label «humour juif », mais qui représentent le prix et la valeur d'une vision pleine et entière de l'homme face à la mort.
Les comédiens relèvent haut la main le défi de cette pièce statique et très narrative, par un jeu dépouillé, sans pathos, presque trop retenu par endroits, aidés par une scénographie de Jacques Gabel et des éclairages de Franck Thévenon puissamment évocateurs. Le Français Jean Bollery tient le spectacle au bout de sa voix, puisqu'il raconte ce que sa mère a écrit, tandis que les autres jouent les scènes marquantes qu'il introduit et commente.
Yvette Théraulaz, originaire de Lausanne, incarne une mère qui a la jeunesse éternelle des victimes innocentes et des mamans aux yeux de leurs fils: entre autorité et fragilité, son beau visage rend plus insoutenable encore la machinerie de mort qui se déploie autour d'elle. Il eût fallu un acteur qui sache jouer, c'est a dire donner vie aux mots et aux situations, comme le fait heureusement sa compatriote Yvette Théraulaz dans les trop rares interventions qui lui sont consenties: par son visage, sa voix, l'infinie dignité de son maintien et de ses douleurs, elle incarne avec force une femme juive et timide entraînée dans un drame qui la dépasse.
Le courage de ma mère / Téléjournal
Mise en scène Martine Charlet
Yvette Théraulaz crée le personnage de Louve tiré du texte Louve d'Alexandre Voisard à l'Arsenic à Lausanne puis en tounée
Mise en scène de Armand Deladoëy
Yvette Théraulaz joue le rôle de Penthésilée Mise en scène de Armand Deladoëy à l'école de jazz et des musiques actuelles (EJMA), saison de l'Arsenic, à Lausanne. Photo Christian Fosserat
Mise en scène Philippe Morand
Les cheveux tirés en arrière, les yeux grands ouverts, la mine triste, Yvette Théraulaz incarne Eva. paysanne suisse alémanique des années soixante. Dans sa vie, pas grand-chose de réconfortant: un mari borné, têtu, macho et radin. «Pas d'explication!», «La discipline avant tout!»
Deux phrase qui reviennent comme des leitmotive dans le langage d'Ulrich, sinistre personnage qu'interprète Michel Cassagne. Pour elle, une vie entre quatre murs de ferme, au passé douloureux, à l'avenir qui frissonne. Des jours qui passent et se ressemblent. Rien à attendre. Une immense lassitude.Jusqu'à ce drôle de vendredi soir où le mari détesté part en ville. Eva reste seule à la maison avec Hans, orphelin employé à la ferme. Le calme est là, enfin. Autour d'une bouteille de schnaps, les deux personnages lient connaissance. Et l'alcool aidant. les langues se délient.
Sur la scène, les comédiens ne bougent presque plus. Yvette Théraulaz et Jean Liermier ne sont plus acteurs mais conteurs. A tour de rôle, ils se racontent leur vie et leurs rêves. Lui parle de s'enfuir en Allemagne, de marcher au hasard avec son sac au dos. Elle s'accroche à son rêve de tout abandonner, de partir avec lui. Un moment d'intimité, de tendresse où la comédienne excelle: dans son récit, prononcé juste assez fort pour faire frissonner les gradins de la petite salle de Vidy, une émotion vraie et bouleversante. Pas de larmes mais des silences lourds de signification. Et une voix légère, presque aérienne, pour dire la jeunesse passée derrière un bar, à servir des verres aux paysans du village, le mariage avec Ulrich, la nuit de noces ratée et l'enfant qui n'est jamais venu.
Un sol carrelé légèrement incliné, un mur orné de branches, une table, deux banquettes. Le décor de Gilles Lambert souligne le plus naturellement possible cette production 100\\\\% romande, premier volet d'un triptyque que Philippe Lüscher va consacrer au personnage de Hans. Même orientation dans le travail de Philippe Morand, metteur en scène: pas d'effets spectaculaires. Place aux acteurs, impeccablement dirigés, aux témoignages; à ces vies enpanne d'avenir, à ces rêves trop différents. «Hans, jeune homme sans jeunesse, rêve de liberté, Eva de quitter sa vie et Ulrich rêve de réussite, écrit Philippe Lüscher. A chacun son rêve, à chacun son drame, on ne peut rien y changer.»
Théâtre de Vidy et théâtre St-Gervais - Genève Avec Michel Cassagne et Jean Lermier
L'échappée / téléjournal
Mise en scène Philippe Morand
Avec «Maison de Poupée», Philippe Morand crée un spectacle exceptionnel. Quel jeu ! Le public romand avait déjà ovationné le tandem Philippe Morand Yvette Théraulaz dans un «Emilie ne sera plus jamais cueillie par l'anémone» inoubliable. Et voici que le metteur en scène et la belle comédienne réunissent à nouveau leurs talents dans «Maison de poupée», du Norvégien Ibsen, en création ces jours au Poche à Genève. On s'attendait à un mets délicat, et c'est tout simplement à un festin royal auquel les amateurs de théâtre sont conviés.
On n'a longtemps retenu de la pièce que son audace, nous sommes en 1879, à brosser le portrait d'une épouse qui abandonne mari et enfants, parce que la communication est impossible. On y voyait un esprit féministe avant l'heure, un intrépide rejet de valeurs sociales étouffantes. Comme Philippe Morand nous la conte, «Maison de poupée» n'est plus l'histoire d'une femme, mais avant tout celle - très actuelle d'un couple qui ne sait pas s'aimer. Si Nora est la poupée de son mari, Helmer n'est que le pantin mou et désarmé des lois toutes-puissantes qui régissent le mariage, la carrière, la fidélité.
La colère ordinaire Excellent dans ce rôle ingrat, Pierre Banderet rend au début son personnage haïssable. Puis, progressivement, il devient touchant à ne pas pouvoir se délivrer de son carcan d’égoïsme ignoble. Plus qu'un monstre obtus, Helmer est un ignorant. Ses excès d'autorité font froid dans le dos, ses remarques cinglantes sont d'une justesse de ton effrayante. Là où beaucoup d'autres pèchent par excès de zèle, Banderet Joue la colère ordinaire avec une rare intelligence. Pour sa part, Yvette Théraulaz - qui vient d'être auréolée d'un prestigieux prix de la Fondation vaudoise pour la promotion et la création artistiques - brille encore et toujours. En épouse écervelée d'abord, en individu conscient qui part s'épanouir sous d'autres cieux enfin. «Maison de poupée» est un spectacle sans débordements visuels, qui repose sur une lecture respectueuse d'Ibsen et la qualité de tous les comédiens.
MAISON DE POUPEE
mise en scène Claude Stratz à la Comédie de Genève
« Le pain dur » admirablement servi, à La Comédie de Genève, par Claude Stratz et des comédiens de premier ordre. parallèlement, d'importants suppléments aux œuvres complètes enrichissent la connaissance du grand poète-dramaturge. Un préjugé tenace accrédite. l'image d'un Claudel rasoir et ronflant, plus ou moins réactionnaire et par trop papomane, qui n'aurait en somme plus rien à nous dire. Or plus le temps y va de son tamis, et plus s'impose l'évidence que le verbe et la pensée du poète, autant que les thèmes et les personnages du dramaturge, loin de tomber en poussière, conservent une extraordinaire vitalité.
Sans doute Claudel peut-il apparaître comme un monstre pachydermique chez qui le pire et le meilleur cohabitent. Ecrabouilleur magistral, on se rappelle sa dureté envers sa pauvre sœur Camille, et père affectueux, ses lettres à son fils Henri en témoignent, mandarin couvert d'honneurs et poète capable de rendre toute la gamme des sentiments humains, Claudel incarnait par excellence la complexité humaine et ses contradictions. C'est aussi qu'à l'opposé du lettré dans sa tour d'ivoire, Claudel le terrien était de la race des bâtisseurs, curieux de tous les aspects de l'industrie humaine, préférant l'action à l'introspection vague, convaincu que l'argent seul ne peut nourrir l'homme, que le progrès ne va pas sans autolimitation, que l'individualisme est une mauvaise religion.
Dans «Le pain dur», pièce balzacienne constituant la partie centrale du triptyque ouvert avec «L'otage» et conclu par «Le père humilié», Claudel brosse un tableau féroce du nouveau monde sur lequel règne le roi bourgeois Louis-Philippe. Parangon de l'époque, le révolutionnaire Toussaint Turelure chante désormais la Propriété et la Légalité, transforme l'ancien monastère cistercien des Coufontaine en fabrique de papier et liquide ses terres avec la complicité du père de sa maîtresse Sichel, l'usurier juif Habenichts, tandis que son fils Louis nourrit lui-même des visées colonialistes en Algérie. Au thème balzacien de la mutation sociale se combine en outre celui de l'affrontement œdipien entre père et fils, lequel aboutit à un parricide quasiment humoristique. De fait, c'est de trouille que le formidable Turelure passe de vie à trépas tandis que son fils Louis-Napoléon le braque avec des pistolets qu'il croit à tort chargés à blanc. Et pourtant rien de facilement mélo dans ce drame où chaque personnage joue' son va-tout avec la dernière intensité.
Loin de se borner à une critique moralisante du capitalisme en expansion, Claudel nous fait sentir, de l'intérieur, que l'élan de ses protagonistes participe d'une grande force collective. Certes les motifs de la patriote polonaise Lumîr, campée avec une parfaite netteté par Nathalie Lannuzel, semblent-ils plus nobles que les manigances purement égoïstes des autres personnages. Mais de même qu'il montre Lumîr prête au meurtre, Claudel nous fait presque sympathiser avec Turelure père, dont Laurent Sandoz rend merveilleusement le jeu désarticulé de despote cauteleux, féroce et lâche, jouisseur et bouffon, et fils, d'abord veule canaille à l'essai, comme l'indique subtilement Jean-Philippe Ecoffey, puis se révélant aussi puissant salopard que son paternel, comme il laisse entendre que le besoin de possession de la juive Sichel (à laquelle Yvette Théraulaz prête sa présence véhémente et blessée) s'est développé à proportion de son perpétuel déracinement et des humiliations subies.
Si «Le pain dur» n'a rien d'une pièce à thèse, avec moralité finale à l'appui, c'est cependant un froid luciférien que jette la dernière réplique de Louis, après qu'il a consenti à épouser l'ex-maîtresse de son, père, héritière du magot. Désignant, le crucifix relégué dans un coin de ! L'affreux décor, autre réussite signée Denis Fruchaud, le semi-parricide exige qu'on ôte «cette horreur» de sa vue, non sans en vendre le bronze à son nouveau beau-père, au poids. Mauvaise affaire que ce crucifié désaffecté. Mais de plus juteuses transactions attendent heureusement l'usurier Habenichts Roland Sassi, remarquable lui aussi, Turelure fils et Sichel, désormais associés en trio d'enfer... Tout cela que Claude Stratz détaille avec autant de discrétion que de rigueur, de sensibilité aux inflexions du texte, un Claudel sobre à vrai dire, que de vivacité, simplement «comme c'est», autant dire terrible...
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